De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

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taine de la Marie-Amélie, averti par ses matelots de la présence et de la position de Lignon, s'empressa de le renvoyer à la gendarmerie avant même que son évasion fût connue ; mais nous n'avons pu savoir s'il avait reçu la prime qu'il avait si noblement gagnée. Je ne sais comment sont faites les âmes par le temps qui court, mais si, au jour des révolutions, un ennemi vaincu venait s'asseoir à mon foyer et me demander asile, je le sens, cet homme serait en sûreté sous mon toit. Ce serait, dira-ton, offenser la justice, substituer le sentiment au devoir. A mon avis, on ne sert jamais bien son pays ni sa cause en manquant aux lois de l'hospitalité. Dans tous les temps, dans tous les pays, l'opinion a flétri celui dont la porte se ferme au malheur ou qui livre celui qui a compté sur sa loyauté. Eh bien ! je suis de l'avis de tous les temps et de tous les peuples contre les mœurs qu'on tâche d'inoculer à notre France, autrefois si chevaleresque, trop souvent prête aujourd'hui à venir en aide à la police. On comprend que, malgré cette mésaventure, Lignon n'avait pas perdu l'envie de reconquérir sa liberté, et son désir ne fit que s'accroître quand il vit la blanche ville de Cadix lui tendre les bras de si bonne grâce. Comment fit-il ? Nul ne l'a su parmi nous, mais le lendemain son évasion ne fut plus un mystère. Les gendarmes et les gardiens qui avaient


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