De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

Page 31

DE PARIS A

CAYNNE

27

jusqu'à la veille du départ, et l'on sut seulement alors que trente-trois détenus — j'en faisais partie — devaient s'embarquer le lendemain pour la Corse. Grand fut le mécompte de ceux qui ne se virent pas compris dans la liste. Ils sentaient que leur séjour à Belle-Ile ne pouvait être de longue durée et se voyaient déjà soumis, dans quelque prison centrale, aux aménités du régime inventé pour les voleurs et les faussaires. Leurs pressentiments ne furent que trop justifiés, car, six semaines plus tard, ils partaient pour le mont Saint-Michel, où les attendait tout ce qu'ils avaient redouté. Les caprices du hasard ou de la fantaisie avaient présidé au choix des catégories. La raison voulait que les fortes peines, surtout les déportations, fussent désignées pour la Corse, et que ceux dont la libération était prochaine demeurassent en France. Il n'en fut rien. Plus de la moitié des condamnés à la déportation fut réservée pour le mont Saint-Michel, et moi, qui n'avais plus à subir que trois mois de prison, je partais pour la Corse, ainsi que d'autres •condamnés à temps. Je n'ai jamais quitté sans une sorte de regret les lieux où j'ai souffert, où j'ai laissé une portion de ma vie si tourmentée. Aussi, étais-je loin de m'associer à l'espèce d'enthousiasme qui surexcitait mes camarades au moment de l'embarquement. Ce n'était pas la liberté qui nous attendait au sortir de Belle-Ile, mais une


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.