De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

Cependant, prolongé pendant douze heures, ce spectacle ne laissait pas de devenir monotone, surtout pour un prisonnier qui, après cinq ans de prison, n'était plus séparé que par quelques brasses de la demi-liberté qui l'attendait dans la demi-civilisation d'une colonie française. Enfin, le dimanche matin, une embarcation vint me prendre pour me conduire, toujours par respect pour les formes administratives, à bord du ponton le Gardien, antichambre obligée du débarquement et de l'embarquement pour les transportés. Par bonheur, j'en fus quitte pour une dernière station d'une heure ou deux dans cet étrange milieu de forçats et d'argousins, où je n'avais que trop vécu depuis neuf mois, et je ne tardai pas à être expédié sur Cayenne. Une dernière formalité restait à remplir, me dit-on, avant ma mise en liberté; il me fallait passer à la direction centrale des pénitenciers. Enfin, un quart d'heure après, je sortais des bureaux, et une porte hospitalière, la porte d'un ami inconnu jusqu'alors, s'ouvrait devant le proscrit; j'avais trouvé le port. Rien ne m'avait été épargné dans ces derniers temps, et l'année 1858 peut à bon droit compter dans ma vie, déjà si tourmentée, comme une des plus néfastes; j'avais successivement subi toutes les épreuves, toutes les brutalités, toutes les misères qui sont le patri-


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