De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

pas davantage pour apprécier le système qu s'est poursuivi depuis tant d'années dans les pénitenciers de la Guyane, et qui peut se peindre en deux mots : sottise et cruauté !... On a beau dire que ces gens sont un danger pour la société, qu'il faut en purger la métropole à tout prix, toutes ces belles raisons, développées, avec le talent qu'on leur connaît, par les écrivains plus ou moins décorés de la presse impérialiste, ne sont d'aucun poids quand il s'agit de justice et d'humanité. Dans un temps autre que celui sous lequel nous vivons, la presse et la tribune n'auraient pas eu assez de colères pour dénoncer ces hécatombes impunément renouvelées depuis 1852; mais, en se courbant sous le joug de décembre, la France a dépouillé son généreux caractère; elle ne sait plus que se taire quand le maître a parlé. D'ailleurs, après avoir laissé frapper, sans mot dire, cent mille de ses plus dignes enfants, à la suite du 2 décembre, pouvait-elle réclamer plus de justice pour des condamnés de droit commun ? Le jour finissait lorsque je montai sur l'Ile d'Aix, avec l'espoir de me réveiller le lendemain matin à Cayenne. Mais j'avais compté sans les vents, qui nous forcèrent à garder notre ancrage. Ce début était quelque peu menaçant, car j'avais ouï dire que parfois il ne fallait pas moins de six à sept jours pour franchir, sur un navire à voiles, les douze lieues


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