De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

Page 288

284

DE PARIS A CAYENNE

avaient inoculée vingt ans de séjour aux Antilles et à la Guyane. Je le revis un an après, lorsque déjà la douleur avait brisé son corps sans ébranler son énergie. Il ne croyait plus à la vie, et, s'il s'y rattachait encore à force de volonté, c'était pour veiller sur son fils, qu'il devait bientôt laisser orphelin, et que sa mort menaçait de livrer à des influences qu'il regardait comme dangereuses pour son éducation; c'était aussi dans l'espoir d'assister au réveil de la liberté en France et de combattre pour son triomphe. Le temps lui manqua pour accomplir ce double devoir. En me quittant pour reprendre le chemin de ses montagnes, il ne se faisait pas d'illusion, et, quelques mois après, j'appris qu'il avait succombé. J'en fus profondément affligé, car on ne saurait trop honorer ceux qui, engagés au début de la vie dans une profession où se perd trop souvent le sentiment du vrai et du bien, savent réagir contre ce milieu contagieux et conservent dans leur intégrité la pureté native du cœur et la droiture de l'esprit. Je ne tardai pas, grâce au commandant Plane, — je l'ai su plus tard, — à quitter l'île du Diable, et j'appréciai d'autant plus ce changement de position que rien ne semblait me le présager. Je savais bien que bon nombre de détenus politiques résidaient à Cayenne; j'en voyais autour de moi qui, après avoir vécu plus ou moins de temps hors de l'île du Diable,


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.