De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

se composait d'un lit de sangle sans matelas ni paillasse, mais j'avais un oreiller bourré de feuilles de maïs et quand les cancrelas voulaient bien par hasard ne pas courir sur ma ligure et se contenter de ronger la mèche de ma lampe ou mes souliers, je dormais mieux qu'on ne dort dans les p a l a i s , car ni le remords ni la crainte n'assiégeaient mon sommeil. J'avais de plus deux tables, deux bancs et un escabeau, un bidon et une gamelle de fer-blanc qui servaient à mes besoins de toilette, une lampe en fer taillée sur le modèle de celles qu'on retrouve dans les tumulus romains, et l'on verra que j'avais l'indispensable, si je n'avais pas le confort. J'étais toujours prisonnier, mais enfin je m'appartenais. Je n'avais plus à compter avec les pénibles nécessités de la chambrée, et je ne donnais plus à la vie commune que ce que je voulais ne pas lui retirer. J'avais une retraite où je pouvais évoquer mes souvenirs, exhaler mes espérances, occuper mon esprit et mon cœur. Il m'était enfin permis de satisfaire au besoin de recueillement qui me poursuivait depuis huit mois et qui ne se concilie pas mieux avec l'isolement du cachot qu'avec le brouhaha de la promiscuité. Le canon de retraite n'avait plus pour moi la signification d'une consigne impérieuse, brutale ; il m'apportait la liberté ! A partir de


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