De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

il est peu probable que j'eusse accepté une obligation qui n'avait jamais pu se faire admettre dans nos prisons politiques. Prévenus ou même condamnés, les Républicains se considéraient toujours et avec raison comme protégés par un droit supérieur à ce qui constituait la base du règlement. Ils subissaient le fait violent, brutal, qui les privait de leur liberté, mais en protestant dans leur conscience, et jamais ils n'auraient consenti à faciliter l'œuvre des geôliers préposés à leur garde. Cette tradition, soigneusement maintenue à Pélagie ainsi qu'à Belle-Ile, transportée par nous à Corte, n'était pas seulement une puérilité, comme on serait tenté de le penser. Les relations qui s'établissent forcément entre les prisonniers et les gardiens en étaient grandement modifiées. L'appel constitue le droit au commandement pour les gardiens, en même temps qu'il implique une sorte de soumission volontaire de la part des détenus. Quand, au contraire, à Pélagie, à BelleIle ou à Corte, les gardiens entraient dans nos chambres pour s'assurer qu'elles n'étaient pas vides, ils frappaient discrètement et se faisaient précéder par des paroles de politesse, rendant ainsi hommage à la situation exceptionnelle du détenu politique. Quoi qu'il en soit, le pli était pris quand j'arrivai à l'île du Diable, et je me dispensai d'élever une résistance qui n'aurait été comprise par per-


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