De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

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pension chez le Véry de l'endroit. Mais à cela il y avait deux ou trois petites difficultés également décisives et dont une seule aurait parfaitement suffi pour me défendre de recourir à ce moyen séduisant. D'abord, si les démocrates — on leur en fait souvent un crime — ne sont pas en général cousus d'or, ils ont encore moins d'argent en prison qu'en liberté, ce qui se conçoit aisément, puisque la plupart n'ont d'autre ressource que le travail, et que, si quelques-uns font exception, ils sont bientôt ramenés à la condition commune (1). Sans fortune personnelle, dépouillé en 1849 du journal où j'avais mis tout ce que j'avais, après quatre ans d'exil et cinq ans de prison, j'eusse été fort embarrassé, je le confesse, de me permettre des

(1) Je ne puis m'empêcher, à ce propos, de citer un fait pris entre mille, qui prouve ce que j'avance ; un honorable démocrate qui avait une grande position industrielle dans un département, ayant été expulsé après décembre, se vit mettre en faillite pour un engagement qui n'était exigible que trois ans après, et notez que si dette il y avait, en dépit de l'axiome : qui a terme ne doit rien, la dette était unique et nullement commerciale, puisqu'elle avait pour cause une soulte après règlement de succession. Mais la passion parlait et la faillite suivit son cours. Les propriétés du proscrit furent vendues dans les plus mauvaises conditions, c'est-à-dire peut-être à 20 pour 100 de leur valeur. Les frais de faillite atteignirent le chiffre monstrueux de 50,000 francs, et cependant, la fameuse dette payée, le proscrit, je devrais dire le failli, eut à toucher quelque chose comme 60,000 francs. On voit que les démocrates ont de bonnes raisons pour ne pas être riches.


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