De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

taient pas permises à l'île du Diable; sans cela, il m'eût nourri de gibier à plumes et n'aurait jamais laissé manquer notre table de ces énormes lézards qui habitaient les rochers du rivage et qui fournissaient un manger exquis. Si maintenant j'ajoute qu'il récoltait les fruits et les légumes que comportait le sol, tels que patates, pois de sept ans, giraumonts, tomates, pastèques, bananes, bacoves, etc., qu'il avait un poulailler et un colombier, voire des lapins, on verra qu'il n'avait pas à envier l'opulence de Robinson. Voilà donc ce que peut l'industrie, me disais-je, et, avant d'arriver à force d'écoles à la moitié des talents que possédait mon compagnon, je mourrais d'épuisement, en vivant de pain sec, sans même pouvoir tirer parti des rations qui m'étaient allouées, sans pouvoir surtout y ajouter les importants suppléments que son travail intelligent lui procurait ! Comme j e prenais alors en pitié mes études passées qui, à l'île du Diable, me laissaient au-dessous et pour ainsi dire à la discrétion de tous ! Gomme j'enviais l'habileté de ceux qui, habitués au travail des champs ou de l'atelier, savaient se conformer sans peine aux nécessités de la situation ! Ils n'avaient pas employé de longues années à pâlir sur les livres, mais ils n'éprouvaient aucun embarras à se suffire à eux-mêmes, et cela valait bien mieux que mon mince bagage d'homme de lettres in partibus.


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