De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

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la distribution des parts afférentes à chaque plat. Quand je me trouvai en présence de ces nécessités, que je me vis réduit à faire mon jour et successivement le métier de portefaix, de boucher, de commissionnaire, que de plus j'eus la perspective inquiétante de manger la cuisine faite de mes propres mains, j'éprouvai un véritable découragement. La fatigue n'était pas ce qui m'épouvantait, la bonne volonté ne me faisait pas défaut, mais cela ne suffisait pas. Quand je me représentais en face d'un quartier de bœuf ou de porc à diviser exactemont et scientifiquement, de manière à ne pas mécontenter mes compagnons, qui n'entendaient pas raillerie à cet endroit, je maudissais de bon cœur les habitudes de ma vie et l'insuffisance de mon éducation. Par bonheur, un de mes camarades de plat voulut bien se charger de toutes mes corvées, en échange de ma portion quotidienne de tafia, et quand j'eus conclu cette affaire, qui, pour moi, avait une importance, je crus avoir fait un marché d'or. En effet, je venais de conquérir ma tranquillité. Restait bien ma cuisine, mais je serais seul à en souffrir ; c'était donc peu de chose. Toutefois, le premier jour où je reçus ma portion de victuailles, je me sentis bien embarrassé. Parfois, à Belle-Ile et à Corte, quand je me trouvais en veine de gourmandise et d'imagination, il m'était arrivé de composer des ragoûts impossibles avec la ration de viande 15


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