De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

fois me dispenser de lui dire qu'il ferait bien de ne pas compter sur la protection que lui promettait son rêve, que la Révolution, si elle arrivait, pourrait avoir autre chose à faire qu'à récompenser les services d'un ancien gendarme durant l'empire ; que d'ailleurs les décorations ne survivraient pas au régime actuel ; qu'enfin, et quoi qu'il pût arriver, l'influence et la volonté me manqueraient également pour obtenir ou solliciter des faveurs. — Ce que je vous en dis, riposta mon geôlier, c'est histoire de rire. Cependant, à l'occasion, monsieur Delescluze, je vous rappellerai mon rêve. — Et il partit, avec l'air d'un homme qui vient de faire une excellente affaire. Je reviens à l'île du Diable. La première autorité de l'île était, depuis quelques mois, un simple brigadier de gendarmerie, et c'est à lui que je fus remis par mon garde-chiourme. La réception fut convenable, et je pus voir dès ce moment que, de ce côté non plus, je n'aurais pas à essuyer des désagréments. C'était un homme encore jeune, et, à ce qu'il me semblait, valant mieux que son triste métier. Il me dit qu'il y avait trois appels par jour, le premier à cinq heures du matin, les deux autres à six heures et à huit heures du soir, et que, sauf l'obligation de passer la nuit au dortoir commun, j'étais libre dans l'île. La liberté est assurément quelque chose, même dans une île qui n'a que 2,500 à 3,000


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