De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

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trai un ami de vingt ans, un pays qui a servi avec moi. « — Qu'as-tu donc, me dit-il toujours dans mon rêve, avec ta figure d'enterrement ? On te prendrait pour un homme qui veut faire un mauvais coup. » — Ne m'en parle pas, lui répondis-je ; je suis au désespoir; on m'avait promis la croix, et on me l'a fait passer devant le nez. » — Ce n'est que ça, refit-il toujours dans mon rêve, et tu te tracasses pour si peu de chose ? » — Mais repris-je, l'occasion est passée, et il faut que j'en fasse mon deuil. » — Imbécile, continua-t-il toujours dans mon rêve, si tu ne l'as pas eue aujourd'hui, tu l'auras demain; si quelqu'un t'a manqué de parole, un autre sera plus juste. Est-ce que tu n'as pas le bonheur d'avoir en ce moment chez toi M. Delescluze, qu'on envoie à Cayenne parce qu'il est républicain, mais qui, pour la même raison, ne tardera pas à avoir le bras long ? Eh bien ! va le trouver, conte-lui ton affaire; on dit que c'est un brave homme, et, aussi vrai que je suis ton ami, il te fera avoir la croix avant peu. — N'est-ce pas, monsieur Delescluze, que c'est un drôle de rêve ?... » Je ne pus m'empêcher de sourire dans ma barbe à cette finasserie de geôlier, qui me donnait la mesure de la foi commune dans la durée du régime vainqueur. Je ne pus toute14.


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