De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

lorsque, deux mois plus tard, vendu par un de ces misérables qui mangent le pain de la trahison, je me vis claquemuré dans un cabanon de Mazas, si je déplorai la chute de mes espérances, je ne regrettai pas la sèche et froide hospitalité de l'Angleterre. Que de fois me suis-je pris à bénir le soleil dont les reflets venaient se briser sur les murs dénudés de ma cellule, car c'était le soleil qui avait éclairé les fronts radieux de nos pères aux jours sacrés de notre histoire ! Au bruit lointain dont le vent m'apportait les échos assourdis par les ruines de la Bastille, je reconnaissais le souffle puissant de la grande ville révolutionnaire qui, quoi qu'il en semble, mûrit aujourd'hui dans le silence de nouveaux et plus éclatants miracles. Cependant, j'avais été condamné, et j'étais à peine remis d'une longue et dangereuse maladie, qu'il me fallut quitter Paris pour commencer cette série d'étapes qui devait, de prison en prison, de bagne en bagne, me conduire à Cayenne. C'est à la maison centrale de Belle-Ile que je fis ma première station, car c'était là que, depuis l'évacuation de Doullens, s'entassaient les vaincus de la République. Belle-Ile est un rocher de quelques lieues de tour, jeté comme un gigantesque brise-lames en avant des côtes de Bretagne, pour recevoir sur ses flancs de granit le premier choc des


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