De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

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Que dire de la monotonie du voyage ? En mer, on n'est pas difficile sur les distractions, mais quand on veut rechercher dans ses souvenirs les impressions gardées, on est tout étonné de ne trouver rien. La vue de quelques bandes de marsouins, la prise d'un poisson volant, la découverte des raisins du tropique, ces végétaux marins qui sont semés sur les mers des deux côtés de l'Equateur, voilà toutes les diversions que la mer offre aux ennuis des passagers. Il est vrai que le bord a sa chronique, parfois ses scandales, mais ce sont là d'insuffisantes ressources pour ceux qui n'y apportent qu'une oreille indifférente ou rebelle. Le soir, les matelots nous donnaient assez souvent un spectacle qui avait bien son mérite; il y avait école de danse, de boxe, de contre-pointe, et, pour ma part, je ne me lassais pas de ces exercices; je n'ai jamais rien vu d'aussi majestueux, d'aussi sérieusement cérémonieux, d'aussi grotesquement gracieux que les poses des professeurs, et quant aux efforts tentés par les élèves pour atteindre à cette suprême élégance, il y avait de quoi dérider les fronts les plus soucieux. Puis c'étaient de ces interminables chansons bretonnes dont les couplets se déroulent comme les grains d'un rosaire, avec ces modulations qui donnent aux mélopées rustiques une sorte de citarme énervant ; d'autres fois, un vieux


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