De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

les guinda sur le pont. C'est qu'en effet rien n'est drôle comme de voir enlever un bœuf à J'aide d'un palan. A la première secousse qu'il éprouve, l'animal veut essayer une vaine résistance ; mais l'inflexible machine poursuit imperturbablement son œuvre ; et le plancher du chaland se dérobe sous les pieds de l'animal. Une fois en l'air, le bœuf le plus intraitable ne hasarde plus un mouvement; suspendu par les cornes, il laisse retomber ses pieds de devant et monte en pirouettant sur lui-même, sans sortir de son immobilité. Maintenant, on file le câble, et le bœuf est déposé sur le pont ; à peine a-t-il senti le plancher sous ses pieds, qu'il fait un mouvement précipité, comme pour ressaisir le sol, puis il s'arrête devant les bastingages, car déjà l'oscillation du navire à l'ancre lui inspire de nouvelles inquiétudes ; on en profite pour l'attacher à un anneau scellé sur le pont, et bientôt les vingt-quatre bœufs sont amarrés en rond tête contre tête. Ce qu'il y a d'étonnant dans ce spectacle, qu'il est impossible de contempler sans rire, c'est que jamais il ne varie; on enlèverait cent bœufs l'un après l'autre, que vous verriez reproduire les mêmes mouvements et la même immobilité ; c'est à peine si, quand ils reprennent terre, on aperçoit de temps à autre quelque diversité. La présence de vingt-quatre bœufs entre le grand mât et le gaillard d'avant n'était pas assurément de nature à embellir


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