De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

Page 222

218

DE PARIS A CAYENNE

Et, chaque jour, je pouvais de mieux en mieux apprécier les avantages de la situation qui m'avait été faite, en voyant quel était le sort des autres transportés, forçats et repris de justice. Leur nombre — ils n'étaient pas moins de 550 — ne permettait pas de les faire monter sur le pont tous les jours, et c'est à peine s'ils pouvaient, à tour de rôle, y paraître chaque fois. Et encore, ne leur était-il pas possible alors de prendre même un semblant d'exercice. Serrés les uns contre les autres sur la partie du pont que les manœuvres laissaient libre, ils étaient forcés de se tenir immobiles, heureux cependant de humer l'air purifiant de la mer, quand l'ardeur du soleil ne leur faisait pas payer trop cher ce délassement. Et dans le faux-pont, exposés aux feux des cuisines et de la boulangerie, auxquels venait s'ajouter parfois le brûlant foyer de la machine, privés d'air et d'espace, ils étaient là haletants, inondés de sueur et rongés par la vermine. Gomment ne pas avoir pitié, à la vue d'un tel supplice, qui devait durer sept semaines ? Assurément, il était difficile de loger ces malheureux plus au large ; mais n'aurait-on pu leur permettre de monter plus souvent sur le pont, et surtout à des heures où le soleil avait cessé de se montrer? Malheureusement, la marine n'a qu'une confiance modérée dans les forçats, et on ne s'étonnera pas qu'un commandant ne veuille pas, avec


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.