De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

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Quand je mis le pied sur le pont de la Seine, le 1 septembre, à sept heures du matin, il tombait une de ces pluies battantes qu'on appelle du brouillard dans la bonne ville de Brest et que partout ailleurs on nomme des averses ; pendant les trois quarts d'heure que mit le chaland à nous transporter du quai en grande rade, je n'en perdis pas une goutte. L'augure ne m'annonçait rien qui vaille, et un Romain du vieux temps en eût tiré les plus sinistres pressentiments. Je me contentai, moi, d'être fort mouillé et passablement ennuyé. Je commençais à me faire à ma nouvelle prison, et. je me retrouvais en face de l'imprévu, peu rassuré surtout par l'expérience que j'avais faite à bord de l'Eclaireur et de l'Yonne. Cinq cents forçats nous avaient précédés sur la Seine et ils étaient déjà parqués ou plutôt encaqués dans les cages qui leur étaient destinées, lorsque l'on s'occupa de nous. L'opération ne fut pas longue : on nous enleva tout ce que nous avions, malles, boîtes, sacs, livres; on vida nos poches et on nous introduisit dans un compartiment du faux-pont à tribord. J'allais donc retomber dans cette promiscuité qui m'effrayait si fort et qui me promettait de nouvelles et plus pénibles épreuves. Il me faudrait coucher sur la planche pendant sept ou huit semaines, car, de partager un hamac, je ne pouvais y songer, ces habitudes de matelotage me semblant la pire des incommodités. Comme er


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