De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

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cette confiance, exprimée dans mes lettres avec une sincérité qui n'avait rien de factice, réussit à tempérer les inquiétudes de ceux qui m'aimaient. Cette conviction, je le dis sans honte, ne me coûta aucun effort. Elle était tout instinctive, et je n'eus pas même la satisfaction de la devoir à un acte de ma raison. Ma pensée ne s'arrêta pas un seul instant sur les dangers possibles, sur la durée de cette expatriation. Je n'eus pas à tendre toutes les forces de ma volonté pour réagir contre les menaces d'un avenir de dix années. Je n'avais d'autre préoccupation que celle du retour, et ma seule crainte était de trouver des places vides au foyer que mon absence livrait à l'abandon, peut-être au désespoir. Je ne savais pas encore tout ce qu'il y a de force dans le cœur d'un père, d'une mère, d'une sœur qui voulaient conserver au prisonnier ce qui vaut mieux que la fortune, la protection de leur infatigable dévouement. D'un autre côté, je ne quittais pas le sol natal sans une douloureuse émotion. Quoique jetée dans les voies qui n'étaient pas les miennes, la France était toujours pour moi la grande patrie, la mère aimée dont le souffle animait mes plus chères espérances et mon orgueil de citoyen. L'abandonner, même sous la contrainte de la force, ne faisait que rouvrir mes blessures, ajouter aux douleurs de la défaite. France bien-aimée , tu ne sauras 12.


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