De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

s'en distraire par l'activité du corps et de l'esprit. Mais ce qu'il y a de plus triste pour lui, c'est l'absence du soleil. Quand on n'a pas passé une longue suite de jours dans un étroit cabanon, il est impossible de se faire une idée du bonheur avec lequel on accueille le rayon de soleil qui parvient à s'y glisser à travers grilles et barreaux. On attend son apparition avec impatience ; on ne se croit plus seul quand il arrive. C'est l'ami qu'on a vainement attendu la veille et qu'on ne verra peut-être pas le lendemain. Sa présence donne aux regrets la couleur de l'espérance. A Brest, le prisonnier n'a pas souvent de ces innocentes consolations ; le brouillard ou la pluie le tient incessamment emprisonné dans les pensées les plus tristes, et je m'étonne que le pouvoir n'ait pas placé à Brest une prison cellulaire à l'usage des politiques. Son but serait bientôt atteint ; le prisonnier le mieux trempé n'y résisterait pas six mois. Tout se réunissait pour me livrer aux influences du climat ; ma santé plus ou moins altérée, le chagrin de ma famille, qui, malgré tous mes soins, malgré l'importance qu'elle attachait elle-même au respect de mon caractère, ne voyait pas arriver sans effroi le moment d'une séparation qui pouvait être éternelle. Heureusement, j'avais la confiance la plus absolue de ne pas succomber dans l'épreuve, et


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