De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

Page 211

DE PARIS A CAYENNE

207

tromper cependant sur le secret de cette croisade littéraire, dernier effort du romantisme aux abois. Mais, je suis forcé de dire qu'en fait Je climat, j'ai des réserves à faire pour la bonne ville de Brest. J'y ai passé dix jours entiers, à une époque où le reste de la France jouit presque toujours d'un splendide soleil, et jamais je n'ai vu de tristesse comparable à celle de l'atmosphère qui m'entourait de ses lourdes vapeurs. De la pluie à chaque instant, de l'humidité toujours et un froid pénétrant par-dessus le marché, voilà tout ce que j'ai trouvé à Brest. C'est le seul côté par lequel j'ai d'ailleurs pu connaître cette partie de la Bretagne ; je n'avais pas le loisir d'aspirer le parfum de ses bruyères, de parcourir ses grèves imprégnées des âpres saveurs de la mer, d'apprécier la cordialité de ses habitants , d'admirer la grâce si vantée de ses femmes. Tout cela est enlevé au prisonnier, auquel l'isolement crée artificiellement la même vie dans les lieux les plus divers. La seule chose par laquelle il se rattache aux conditions de la vie libre, c'est le climat. Même au fond d'un cachot obscur, si une dernière rigueur lui enlève la vue du ciel et le condamne par avance aux ténèbres du tombeau, son organisme subit encore l'action des variations de la température. A vrai dire, il souffre de la chaleur autant que du froid, sans pouvoir les combattre ou


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.