De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

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même à faire couler le navire, heureux de mourir en se vengeant, cela m'étonne et ne justifie pas d'ailleurs des brutalités inutiles. J'ai maintes fois entendu parler de toutes ces alarmes, et il m'a été impossible de les prendre au sérieux. Ce n'est point par le courage que brillent les réclusionnaires et les forçats. Il s'en rencontre, par exception, qui, cédant à une monomanie sauvage, assassinent le gardien dont ils ont à se plaindre, le camarade qu'ils ont pris en haine; d'autres se font meurtriers parce qu'ils n'ont pas le courage du suicide; mais, pris ensemble, ils manquent absolument d'audace. Puis ils se défient trop les uns des autres pour concevoir et, à plus forte raison, pour tenter d'exécuter un complot qui demanderait tout à la fois des têtes résolues, des bouches discrètes et des bras énergiques. l'Eclaireur n'avait donc pas à redouter l'ombre du danger; mais il avait de meilleures garanties que là pusillanimité des repris de justice qui jonchaient son entrepont. A peine eûmes-nous quitté la rade, que nous fûmes assaillis par un temps affreux. La mer était furieuse et le brick, tremblant dans ses œuvres, craquait comme s'il allait se fendre. Il n'en fallut pas davantage pour déterminer chez mes compagnons de route tous les accidents qu'entraîne le mal de mer. J'eus presque à regretter d'échapper cette fois, comme toujours, à cette indisposition, car il me fallut assister, bon gré


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