De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

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donne le commandement aux esprits étroits et infatués de leur pouvoir. Dès notre arrivée, on fit descendre les repris de justice dans le faux-pont, et, quelques minutes après, je fus invité à les suivre. Je les vis tous assis par terre et les fers aux pieds. Le même traitement m'attendait; seulement, par un reste de pudeur, l'aimable commandant de l'Eclaireur, ou son digne second, avait eu l'attention délicate de me réserver une barre pour mon usage particulier. Un de mes pieds fut emprisonné dans un anneau de fer brisé dont les deux moitiés furent enfilées dans une barre de fer à laquelle s'adaptait un cadenas. Cette gracieuse opération a pour résultat d'empêcher de bouger autrement qu'avec la plus grande difficulté, et encore faut-il s'exercer pendant quelque temps pour pouvoir le faire sans une souffrance assez vive. On comprend de reste qu'il n'est pasaisé de remuer avec le pied attaché à une barre de fer qui mesure à peu près deux mètres de long et dont le poids fait levier sur l'anneau et conséquemment sur le pied. Les repris de justice étaient encore dans une position plus pénible, puisqu'ils étaient embrochés par dix, la moitié faisant face à l'autre, condamnés à une immobilité complète. Par surcroît de précaution, un matelot armé d'un sabre d'abordage faisait sentinelle dans l'escalier, comme si trente à quarante hommes ainsi empêchés pouvaient encore inspirer quelque inquiétude !


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