De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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contentai d'éprouver un plaisir inespéré à conserver les bras et les mains libres d'entraves. Toulon est trop habitué à des processions de ce genre pour les honorer d'un seul regard de curiosité, et, sans aucun doute, le passage d'un troupeau de bœufs aurait eu plus de succès. Je dois ajouter que, dans cette ville de 80,000 âmes, qui naguère votait comme un seul homme pour la démocratie, et qui savait que le fort Lamalgue ne contenait pas que des forçats et des repris de justice, il ne s'est trouvé personne pour envoyer au proscrit un bonjour fraternel. C'est à des officiers de l'armée, qui ne me connaissaient que de nom, que j'ai dû les quelques consolations qui sont venues me visiter. Et cependant, ils n'étaient pas républicains, mais l'uniforme n'avait pas desséché leur cœur. Qu'ils reçoivent mes sincères remercîments ! Après un quart d'heure de marche dans des rues étroites, — il n'y en a guère d'autre à Toulon, — nous entrions au bagne avec tous les honneurs de la guerre. Pour beaucoup de ceux qui faisaient partie du convoi, l'arsenal de Toulon offrait des souvenirs et des impressions de plus d'une sorte. Ils y avaient passé de longues années, et là se trouvaient encore leurs compagnons de chaîne ou leurs complices. Ceux que le triste bénéfice de l'âge avait affranchis du bagne et qui allaient trouver à Belle-Ile la fin de leur peine ou de leur 10


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