De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYNNE

exposé à leur insultante familiarité comme au caprice de subalternes habitués de longue main à toutes les brutalités, je vis bientôt s'évanouir les influences mauvaises qui semblaient conjurées contre moi. Si, matériellement parlant, ma position resta la même, elle se modifia considérablement à tout autre égard, et je n'eus qu'à me louer de tous ceux qui m'entouraient et qui, chacun dans son rôle, cherchèrent à me faire oublier par des procédés de bon goût les misérables rigueurs d'un régime fait pour l'écume des chiourmes et des pénitenciers. Je n'aurais qu'une exception à signaler et encore n'en est-ce guère la peine. Un jour que j'étais dans mon cachot, penché sur mes livres, la porte s'ouvrit pour donner passage à un monsieur en habit bleu barbeau, la figure plâtrée de poudre de riz, avec les allures prétentieuses et l'insignifiance gourmée d'un provincial en fonctions. C'était quelque chose comme un inspecteur de prison ou un employé de préfecture, peut-être un sous-préfet, je ne sais pas au juste, n'ayant pas eu la curiosité de m'en enquérir. Ce monsieur, qui paraissait embarrassé de ses mains et de tout son individu, jeta un coup d'œil sur ma cellule et sur ma personne, avec cet air de curiosité effarouchée qui est le propre des esprits bornés, et déjà il s'était retourné pour s'en aller, lorsque, poussé par un remords ou par un ressort, il refit face en tête et me dit : « Vous êtes fort


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