De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

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les ports de l'Océan. Il était facile de prévoir que le moment du départ était arrivé et pour moi et pour les repris de justice désignés pour Cayenne. Pendant les quelques jours que j'eus à passer encore au fort Lamalgue, j'eus un pénible devoir à accomplir. Jusque-là, j'avais laissé ignorer à ma famille le sort qui m'était réservé, et j'avais bien fait. Pourquoi détruire avant le temps les illusions qui consolent? La prolongation inusitée de mon séjour à Toulon, bien qu'elle ne fût due qu'à des' lenteurs administratives, avait été interprétée différemment par ceux qui s'affligeaient de mon départ. Ils voulaient y voir la résolution de revenir sur la mesure dont j'avais été l'objet, et, sans les entretenir dans une espérance que je ne pouvais partager, je n'étais pas fâché de les voir tromper leurs inquiétudes. Mes lettres ne disaient mot du traitement qui m'était imposé, et je laissais volontiers croire que je n'avais à regretter que l'absence de la liberté. D'ailleurs, une pudeur invincible me défend les plaintes. Il m'a toujours semblé que l'on ne saurait, sans se manquer à soi-même, laisser envahir sa pensée par le sentiment des violences subies, en confier les détails à une correspondance qui, destinée à passer sous les yeux de l'administration, pouvait paraître un appel indirect à sa clémence. J'avais, en un mot, usé toute ma diplomatie à créer chez ma famille une situation


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