De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

sur les détestables penchants d'un ou de plusieurs hommes, la responsabilité de tout ce qui, dans cet ordre de faits, porte atteinte à la justice ou à la moralité. On en est quitte pour flétrir les coupables, et tout est dit. Malheureusement, cette explication, qui suffit au prisonnier, toujours disposé à personnifier ses griefs pour donner un but matériel et déterminé à ses haines, cette explication a le tort de n'expliquer rien, parce que le mal n'est pas dans le choix plus ou moins mal dirigé des instruments, il est dans la situation. L'institution militaire a pour base un ensemble de préjugés qui n'ont rien à faire avec les notions et les règles de l'équité ordinaire. De là naît un droit exceptionnel, où tout est sacrifié à la rapidité et à l'unité du commandement. Parce qu'un jour le salut de l'État peut avoir à exiger impérieusement la subordination de toutes les volontés, la coopération de toutes les forces, l'obéissance passive est élevée à l'état de dogme permanent, indiscutable; c'est l'arche sainte à laquelle nul ne peut porter la main sans mériter la mort ou au moins les plus terribles châtiments. La pénalité militaire étant excessive, le régime de la répression revêt nécessairement le même caractère. Et il est presque impossible qu'il en soit autrement. Le prisonnier militaire est peu traitable en général. Le plus souvent, il se croit injustement frappé, et, de temps à autre, il éprouve


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