De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

mal, l'esprit et le cœur y courent les dangers de toute sorte, et trop souvent, en quittant cet enfer, on y laisse le sens moral, sinon l'honneur. Longtemps j'ai refusé d'ajouter foi à ce que j'entendais dire des horribles mystères de la citadelle de Bone, mais les témoignages se pressaient si concordants, si unanimes, que le doute n'était plus possible. Tout en faisant la plus large part à la passion, il était impossible de ne pas reconnaître qu'il y avait de tristes réalités au fond de ces révélations qui faisaient pâlir les archives de la Bastille et de l'Inquisition. Je ne parlerai pas du poids des fers que traînaient les condamnés, et qui n'était pas inférieur à 15 kilogrammes, des pénibles travaux qu'ils avaient à accomplir, aux ardeurs du soleil d'Afrique, creusant la terre, déracinant les rocs, menant la brouette sur les flancs escarpés de la montagne; des consignes qui autorisaient les sentinelles et les gardiens à faire feu. à la moindre désobéissance, c'est-à-dire quand il leur en prenait l'envie; tout cela est de droit dans le système de la loi, et ce n'est pas le moment de la discuter. Mais là ne s'arrêtaient pas les sévérités du régime. Il me suffira de dire que la plus légère infraction au règlement — et l'on pense s'il était arbitraire et tracassier — se payait par trois, quatre ou cinq cents jours de cellule ! A vrai dire, ces pu-


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