De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

leurs visages, desséchés et brûlés par le vent et le soleil, accusaient d'immenses souffrances et des passions indomptables, et le feu sombre qui brillait dans leurs yeux attestait qu'ils étaient loin d'avoir épuisé leur énergie. C'étaient des condamnés aux fers qui revenaient d'Afrique. La législation nouvelle ayant supprimé la peine des fers militaires, le gouvernement ne crut pas devoir maintenir dans le pénitencier de Bone les condamnés de cette catégorie, et l'ordre avait été donné de les évacuer sur Toulon, pour les répartir ensuite dans les maisons centrales du Midi. J'ai vu successivement passer au fort Lamalgue plusieurs centaines de ces malheureux; je les ai coudoyés pendant plusieurs semaines, les échos des casemates m'ont renvoyé leurs joies et leurs colères ; le bruit de leurs querelles et de leurs orgies a plus d'une fois traversé les murs cyclopéens de mon cachot, et jamais leur souvenir ne visite ma pensée sans y laisser d'affligeantes impressions, dont la pitié ne fait pas tous les frais. On dit que l'armée est l'école de l'honneur, mais alors comment se fait-il que la discipline compte tant et tant de victimes, et qu'elle les choisisse de préférence parmi les mieux doués ? Pourquoi enfin la répression se fait-elle violente jusqu'à la barbarie ? Je voyais là des hommes auxquels, en général, n'avaient manqué ni


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