De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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D E P A R I S A CAYENNE

traies du Midi avaient leurs représentants au fort Lamalgue. Grâce à cette invasion, chaque chambrée vit doubler le nombre des paillasses, mais je restai toujours en possession d'un cachot séparé. Les nouveaux venus apportaient des dispositions d'esprit bien différentes de celles qui animaient les repris de justice recrutés pour Cayenne. Tandis que ces derniers s'effrayaient, et non sans raison, de l'avenir qui leur était destiné, les autres se laissaient aller à l'espérance et construisaient à l'envi les plus magnifiques châteaux en Espagne. La vieillesse, qui s'annonce au reste des hommes par les souffrances et le désenchantement, leur apportait, à eux, un dernier privilége. Déjà ils lui avaient dû de remplacer les pénibles travaux du bagne par le repos relatif des centrales, et maintenant une nouvelle faveur leur était octroyée. On venait de créer pour eux les Invalides de la chiourme, et ils jouissaient par avance des plaisirs que leur promettait le farniente dans la maison de Belle-Ile. Mais si c'était un pas de plus vers le bonheur, ce n'était que le moindre de leurs vœux. Ceux mêmes dont la condamnation ne devait finir qu'avec la vie, — et c'était le plus grand nombre, savouraient les délices de la liberté. Une fois à Belle-Ile, les grâces, les réductions de peines allaient pleuvoir sur eux et le plus caduc se livrait, avec une joie enfantine, à tous les écarts d'une imagination que rien ne devait entraver. C'était,


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