De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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PARIS A

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de l'affection chronique de républicanisme dont j'étais suspecté. Enfin, un beau jour, l'agent principal du dépôt prit sur lui de me faire savoir confidentiellement que j'en étais quitte pour la bagatelle de dix années de séjour à la Guyane. Comme c'était le maximum, je ne pouvais reprocher au gouvernement de me mesurer en avare les moyens de guérison. Si dix années d'une médication aussi énergique ne suffisaient pas à me délivrer de mon infirmité des pieds à la tête, j'acquérais de droit une place aux Incurables, et le gouvernement pouvait s'en laver les mains. Si, au contraire, je mourais avant l'expiration des dix années, la médecine administrative ne perdrait point de son autorité ni de son prestige. Tout était donc pour le mieux, et je n'avais pas le plus petit mot à dire, au contraire. J'aurais cependant désiré avoir communication de l'arrêté préfectoral ou ministériel qui me concernait, pour connaître les motifs invoqués à l'appui de cette mesure tout exceptionnelle. Mais ma curiosité ne put jamais être satisfaite. Je sais seulement qu'à côté de mon nom, les feuilles d'écrou ou de transfèrement portaient invariablement le mot : Dangereux, en vertu du principe qui fait écrire : Fragile, sur les caisses de porcelaine ou de verre qu'on remet au chemin de fer. J'aurai plus tard à dire les gracieusetés que me valut cette flatteuse recommandation.


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