De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

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rendait la précaution inutile, je ne pouvais m'empêcher de voir dans cette demi-réserve un reste de pudeur, si l'on veut, un hommage à ma situation. Je serais injuste si je n'ajoutais pas que j'ai rencontré chez tous ces hommes des égards et un empressement qui ne pouvaient me trouver insensible. Ils se disputaient le plaisir de m'être agréable. Dès que j'arrivais dans le préau, j'étais bien sur de les voir déserter l'endroit où j'avais l'habitude de chercher, suivant le temps, l'ombre ou le soleil. Ils laissaient libre le banc où je me reposais. J'étais profondément touché, je l'avoue, de cette humilité toute volontaire et contre laquelle, toujours et sans cesse, je protestais en vain. Ces petits priviléges qu'ils m'accordaient si volontiers, et malgré moi, s'adressaient nécessairement, exclusivement à mon titre de détenu politique. Tous ces parias de la société ne pouvaient comprendre qu'on me fît subir le traitement qui leur était imposé, et, à force de prévenances, ils semblaient prendre à tâche de faire disparaître l'assimilation qu'on avait voulu établir entre eux et moi. Leur cœur n'était donc pas perdu sans retour, puisqu'ils conservaient le sentiment de la justice et la pratiquaient, même à leur préjudice, avec une complète abnégation. N'était-ce pas étrange et consolant tout à la fois, en effet, de voir des hommes repoussés et flétris par la société s'ef-


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