De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

s'élève une muraille qui va rejoindre le niveau du sol de la cour principale, et de l'autre se dressent les épaisses murailles des casemates du fort. Dans le fond, un hangar couvert en tuiles offrait une retraite en cas de pluie, et je m'étonnai de cette délicate attention pour des prisonniers, jusqu'au jour où j'appris que cet échafaudage n'avait été dressé que pour abriter l'autel mobile qu'on y mettait le dimanche, afin d'y dire la messe. Au demeurant, les détenus en profitaient, et c'était l'essentiel. Pendant que j'étais là, non moins embarrassé de mon nouveau costume que de ma paillasse, j'aperçus quelques individus affublés comme moi selon l'ordonnance. Je ne tardai pas à reconnaître que je n'avais pas la bonne fortune de me rencontrer avec des coreligionnaires. Forçats ou réclusionnaires en rupture de ban, ils appartenaient tous à la catégorie dite des repris de justice et attendaient qu'un navire vint les prendre pour les conduire à Cayenne. La situation était nouvelle pour moi, et je ne l'envisageai pas de prime abord sans une certaine inquiétude. Qu'allais-je devenir, seul, au milieu de ce inonde, déclassé, sans société possible ? Je n'aurais pas même la triste ressource de l'isolement absolu, car à chaque instant du jour et de la nuit, les nécessités de la vie commune devaient m'imposer des rapports incessants avec les hôtes de la prison. Je me décidai à m'enfermer dans la réserve, afin de ne pas


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