Mémoires de Billaud-Varennes

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vainqueur, il mit la main sur le poignard de ce guerrier, en lui disant : « J'ai fait en vain ce que j'ai pu pour défendre mon peuple et moi et pour nous empêcher d'être réduits à l'état où nous sommes ; mais puisqu'il est en ton pouvoir de faire de l'un et de l'autre tout ce qu'il le plaira, je te prie d'épargner ma nation et de m'ôter la vie, qui désormais ne peut m'ètre qu'à charge, après la perte de mon trône. » Cortez , daignant promettre qu'il ne le ferait point mourir, essaya de le consoler, et le mena dans une galerie où il le pria d'ordonner à ses sujets de cesser toute résistance; ce que l'empereur avant fait, ils posèrent les armes. Malgré le grand nombre des morts et le nombre plus grand des prisonniers , celle troupe fidèle se composait encore de cinquante mille hommes. Le siége, qui dura trois mois, fut terminé par la paix des tombeaux. Cortez avait, pour conquérir cette cité impériale, neuf cent sept Espagnols ( 3 o ) , près de deux cent mille Indiens, quatre-vingt trois chevaux, dix-huit canons, autant de brigantins et six à sept mille canots: il perdit cinquante soldats, huit mille auxiliaires et six chevaux; mais du côté des Mexicains, la perte fut au moins de cent vingt mille hommes tués, sans compter tous ceux qui périrent par la famine, la peste, l'incendie, la noyade et l'assassinat. Certes, la résolution de ces courageux citoyens, auxquels s'étaient unis leurs frères des campagnes, mérite d'être remarquée: ils n'avaient plus de subsistances, ils vivaient de feuilles, de branches, d'écorces d'arbres , ils buvaient une eau corrompue , ils couchaient parmi les cadavres, et ils refusaient de se rendre, préférant une mort lente et cruelle à une infâme servitude.


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