Mémoires de Billaud-Varennes

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ne se levât pendant la nuit et n'exposât le navire au danger d'être brisé sur ces écueils , résolut d'approcher seulement avec la misaine, pour aborder le lendemain avec plus de sécurité, à l'aide des canots qu'on nous enverrait de la terre. On ne l'avait point vue encore. Cette nuit-là , le capitaine voulut tenir lui-même le timon du navire, et mit tout le monde en haleine; mais nos religieux allèrent prendre leur repos ordinaire , qui ne dura pas trop long-temps , car , à minuit, le vent se tourna vers le nord, ce qui causa un cri général de terreur et un affreux tumulte. Nos matelots, dans ce désordre, s'adressèrent aux jacobins, afin qu'ils implorassent l'assistance du ciel, qui l'avait accordée dans les tempêtes précédentes. Leur appréhension venait plutôt de la peur du péril que ce vent pouvait amener , que du danger présent, puisque ce vent soufflait sous un ciel p u r , qui n'annonçait aucun orage. Quoiqu'il en soit, les moines se levèrent, allumèrent des cierges et chantèrent des litanies jusqu'au premier rayon du jour, où ce terrible vent du nord cessa pour faire place à celui que nous désirions ; nos marins crièrent : miracle ! Sans autre malencontre , le 18 thermidor, à l'heure où l'on disait la messe aux matelots , qui étaient à genoux, l'un d'eux, demeuré en vigie, au sommet du grand mât, s'écria trois fois , terre ! Au même instant, tout l'équipage se leva pour voir le continent où l'or abonde, laissant le célébrant seul à l'autel achever son service. L e bon supérieur, partageant notre joie, fil un massacre g é néral de sa volaille , pour festiner ses moines.


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