Mémoires de Billaud-Varennes

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( 89 ) drais pas pour un archevêché. — ( S e retournant vers l'animal, qui commence à nous suivre : ) Si j'avais ma manchette! — Qu'en ferais-tu ? — J e le tuerais, et nous aurions ses œufs.—Sais-tu si c'est une femelle ? — J e veux dire ses glandes : il en a quatre, qui sont remplies de musc. — J e n'aime pas ce parfum-là, et je crois déjà le sentir: pressons un peu nos bêles... Tu ris ; je suis peureux , ce n'est pas être lâche. Mais de quelle manière pourrais-tu le combattre, et le tuer surtout? Ses écailles sont dures , épaisses , rapprochées : on dit que le sabre et la balle ne peuvent pénétrer jusqu'à sa peau. — Prêtez? moi, je vous p r i e , votre couteau de chasse.—C'est celui de l'alcade... ( Je n'étais point chasseur , mais je péchais assez sou veut ) : d'ailleurs je ne veux pas que tu t'exposes... Azor je vous défends... — Azor, pour la seconde fois, désobéit; Azor, en chantonnant, me dérobe le coutelas, pendant que je regarde notre ennemi, et va au trot sur l u i , par la diagonale, en dépit de mes ordres et de mes remontrances. Mais bientôt, à vingt pas du monstre , il ose mettre pied à terre... il saisit un morceau de roche , s'avance de côté vers une gueule menaçante , et lance l'énorme caillou au fond de l'horrible gosier , puis, aussitôt il plonge le couteau de chasse sous la hideuse gorge , et l'alligator tombe. Je l'avouerai, j'étais resté spectateur , non tranquille , de cette audacieuse attaque ; ce ne fut qu'au moment où. je vis l'intrépide nègre terrasser l'affreux crocodile et lui porter plusieurs coups assurés , que j'osai m'approcher enfin de l'autre Minotaure et du nouveau Thésée. —Un courage imprudent, lui dis-je, n'est que de la témérité; et à quoi bon cette victoire ?—C'est


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