Mémoires de Billaud-Varennes

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Dès que les ouvriers sont arrivés au lieu de la besogne, on leur prend un outil ou une mante, qui sert de gage, de peur qu'il ne s'enfuient. Si cependant un espagnol vient se plaindre au répartiteur qu'un indien s'est échappé, on en tient note , il est bientôt repris , attaché par les bras à un poteau dans la place publique , et fustigé, comme les noirs, sans préjudice de la prison et de l'amende ; mais si un indien se plaint qu'un espagnol lui a dérobé ses outils ou escroqué ses gages, on gratifie le plaignant d'un soufflet ou de coups de bâton. Ainsi l'on vend ces malheureux chaque semaine, pour deux sous six deniers ( demi-réal ) , et ils n'ont que cinq sous par jour pour subsister. Il n'y a pas de bon chrétien qui n'éprouvât de la compassion en voyant comme ils sont traités par certains espagnols pendant celte dure corvée, qui se répète tous les mois, et en fait ainsi des forçats durant un long quart de l'année : de lâches maîtres vont séduire les femmes de ceux qui labourent la terre pour les nourrir; d'autres retiennent leurs outils ou leur salaire ; ceux-là les poussent au travail à coups de fouet sur leur dos nu ou à coups d'épée sur la tête; ceux-ci les gardent au delà des sept jours de vassalité, et, connaissant l'affection qu'ils ont pour leur famille, ne leur permettent de partir qu'en retenant leurs gages. Attachés à la glèbe, ils sont encore les valets des voyageurs ; car le premier venu, prêtre ou laïc, peut demander dans les villages les indiens qui lui sont nécessaires pour conduire sa mule ou porter sa valise, et, le trajet fini, chercher au serviteur une querelle d'allemand pour le payer à coups de canne. Quelques-uns de ces pauvres serfs sont obligés, par la chaleur, la pluie


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