Mémoires de Billaud-Varennes

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(57 ) nait dans sa cabane ; jamais il n'hébergea , ne te courut un pauvre, et il refusa même une goyave à un voyageur altéré qui l'aperçut dans son jardin , où il cueillait lui même ses ananas. Rendant un jour le pain béni, pour éviter l'amende à Laquelle il savait que je l'eusse fait condamner , il lit tout exprès faire un cierge long et fluet comme une chandelle d'un sou : le pain , bis, pesait une livre, l'offrande était d'une demi réale , la plus petite des monnaies du pays; point de tambours, pas de trompettes, point d'orgues ce jour là, si les musiciens n'eussent joué gratuitement. Faisant aussi le roulage du Golphe, avec des mulets et des noirs qui lui appartenaient, il mettait un prix modéré à ses transports, et y gagnait toujours ; car ses confrères, obligés de louer des valets et des mules, ne pouvaient soutenir la concurrence , et étaient bientôt ruinés. Sa cruauté envers ses nègres surpassait cependant son avarice: si l'un deux manquait un instant d'arriver au travail, lorsque le commandeur faisait claquer son redoutable fouet, qui tenait lieu de cloche, le délinquant était saisi, mis ventre à terre, et recevait cinquante ou cent coups de ce même fouet, à nu, sur Je dos et les reins. Un de ces malheureux, nommé Moco , était surtout celui qu'il appelait sa béte noire: il le faisait suspendre par les mains au tronc d'un arbre, le fustigeait lui-même jusqu'au sang, jusqu'à à emporter des lambeaux , et il versait ensuite sur les plaies , pour les guérir, de la graisse bouillante. Il lui avait marqué, d'un 1er chaud, le visage, la poitrine, le dos , les quatre membres... (18) Trois ans avant mon arrivée , il avait tué, à la chasse , deux indiens qui le contrariaient : il se


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