Mémoires de Billaud-Varennes

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(56) sucre, appartenant aux carmes de la ville. Leur chef, ennemi du nouveau , qui souvent est l'utile, ne veut pas qu'on emploie, pour exprimer le suc des cannes , la nouvelle machine qu'on inventa au Cap-Français, bien qu'elle soit plus rapide et moins dangereuse que l'ancienne, qu'on nomme cependant ingenio. : il aime mieux user dix esclaves pour un, q u i , s'ils ne meurent à la peine, sont presque toujours mutilés. La plupart des autres fermiers préfèrent, malgré les sermons de la morale évangélique et les leçons de l'intérêt bien entendu, les exemples du carme à ceux du polonais. Jean Palomèque, de Xérès, le plus riche habitant de Petapa, maître de deux cents noirs, mais esclave de ses dollars , vivait en animal farouche plutôt qu'en homme libre , traitait ses trois cents mules mieux que ses nègres, ou du moins les considérait comme égales bêtes de somme. Propriétaire de cinq à six maisons à Guatimala , il habitait dans une de ses métairies, où sont de vastes magazins, car il était cultivateur et commerçant: là , il existait en sauvage ( s'il y en eut jamais de tels que lui ) , parmi ses noirs ou ses victimes, au lieu de demeurer en ville, où il eut été obligé de vivre plus civilement. Ce misérable riche, dont la lésinerie est devenue proverbe en ce cantou, logeait dans une étroite case ou mauvaise chaumière, mangeant, à déjeuner, du lait avec du niscuit noir, dur et moisi, dînant avec un tassajo , tranche de bœuf salé , fort mince, séchée au vent ou au soleil ; il ne buvait que de l'eau citronisée: on peut juger, d'après sa table, celle de ses esclaves. Jamais ce roi des lésineurs ne donna un antre repas aux marchands de la ville qu'une affaire ame-


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