Mémoires de Billaud-Varennes

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crête horizontale, est découvert entièrement du côté de la mer , et n'a que trois cents pas de long ; mais il est tellement étroit et escarpé, qu'on est tout étourdi dès que l'on y est parvenu. Ose-t-on regarder à droite, on voit la grande mer du Sud, si près et si fort au-dessous de la gigantesque muraille sur laquelle on se trouve, que les yeux en sont éblouis; si l'on regarde à gauche, on ne voit que des rocs, des précipices de trois à quatre milles de profondeur , dont l'aspect donne le vertige : d'un côté vous voyez la mer prête à vous engloutir, de l'autre, des rochers prêts à vous mettre en pièces, e t , placé entre ces périls, le passage n'a pas plus d'une toise de largeur, unique r o u l e , capable de glacer le coeur des plus hardis : je crus voir ce pont que le Dante jette d'une main poètique à travers le Tartare. Frissonnant de crainte et d'effroi, nous avions plus besoin de cordiaux pour franchir ce sommet, que lorsque nous vivions de fruits et d'eau dans la cabane solitaire : tous désireraient retrogader, hormis les Indiens ; mais n u l , par un vain amourpropre , n'osa le proposer. Ces guides ont déjà ouvert la marche de la petite caravane: en dépit d'un vent furieux qui peut les enlever comme des mouches, ils sont bravement à cheval, cramponnés, il est vrai, à la crinière de leurs mules, que suivent les chevaux; et les six jacobins défilent un à u n , non debout, ni la tête haute , de peur qu'elle ne tourne, ce qui leur causerait la mort, mais tout courbés, les mains et les genoux à t e r r e , o u , comme on dit, à quatre pattes... Humilie-toi, superbe, si tu veux conserver la vie! rampez, fiers Espagnols, derrière ces mortels que vous traitez d'esclaves, et qui, sur leurs coursiers que vous suivez de l'œil, gardant


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