Mémoires de Billaud-Varennes

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taient de n'avoir pas choisi, pour gagner Chiapa, la route de Soconusco, longeant la mer et tournant les montagnes. —Hé q u o i ! fiers Espagnols, leur dit le commandant , n'avez-vous jamais vu les Pyrénées ? —J'ai v u , ainsi que vous , me répond Chrisostome, les mornes de Porto-Rico, que je me plaisais à gravir. — Pour nous, dit le frère Cyrille, en parlant de lui et des autres, nés en Espagne, nous avons traversé les cîmes de la Sierra-Moréna. — Hé bien, il ne sera pas dit que la peur nous fit perdre trois pénibles journées de marche , pour regagner une route plus longue ; et nous allons franchir les Alpes du Mexique, comme nos immortels guerriers ont escaladé celles qui séparent la France de l'Italie... Un signe du bon Chrisostôme m'avertit d'une inadvertance.— Nos immortels guerriers, répétait frère Mathias : ils sont braves, sans doute , mais ne sont pas desnôtres.—Ami, repris-je vivement, ce n'est pas tout à fait parce que les Bourbons gouvernaient l'Espagne et la France , que j'ai dit nos guerriers ; mais c'est parce que les deux peuples combattent ensemble aujourd'hui le génie d'Albion , c'est parcequ'on peut vraiment dire, il ri y a plus de Pyrénées, c'est parce q u e , d'ailleurs, des hommes tels que nous, religieux et philosophes, doivent être cosmopolites, c'est enfin parce qu'aux regards de la religion, comme de la philosophie , tous les hommes sont frères ... — Bien raisonné , dit Chrisostôme : fraternitas in productum egalitas ... Or ... buvons la-dessus un petit coup de rhum dont j'ai rempli ma g o u r d e , ou plutôt allons nous asseoir à l'ombre de ces tamarins, avec notre madère et nos poulardes; car il est temps de déjeuner.


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