Mémoires de Billaud-Varennes

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minel, à ces Gomorrhéens antipopulateurs, dont la race n'est pas éteinte. Mais si ce magistrat austère et inflexible aimait la justice et les moeurs, la passion extrême qui ressentait aussi pour l'or lui fit commettre tant de fautes, qu'elles ont terni sans retour ce qu'on appellait ses vertus ; je dirai même que son prétendu zèle pour la justice, masquait adroitement son ardeur pour l'iniquité. Monopoleur par avarice, ce qu'il n'osait et ne pouvait faire lui-même dans ce coupable et odieux métier, il le faisait exécuter par ses agens, tel qu'un don Pierre de Mexie, riche négociant, qui accaparait tous les grains, comme on le fît plus d'une fois en F i a n c e , où ce crime excita souvent de si justes révoltes, qu'elles pouvaient être appellées des insurrections. L'agent en chef, Mexie, achetait le mais aux Indiens au taux qu'il lui plaisait d'y mettre; quant au froment, il le payait aux Espagnols selon la taxe de la loi, pour les temps de disette, quinze réaies le boisseau, prix bien modique , en raison des espèces si communes alors dans ces contrées; mais les fermiers étaient contens de se défaire du produit excédent de leur récolte , en voyant l'apparence d'une fertile année, n'osant, d'ailleurs, le refuser au favori duvice-roi, et ne sachant pas les motifs de tous ces grands achats. Par ce moyen facile, Mexie ayant rempli de grains tout es les granges qu'il avait louées en campagne, lui et le comte en devinrent les maîtres. Lorsqu'il n'y avait au marché que fort peu de froment et de maïs qu'ils n'avaient pu avoir, et que, par conséquent, le prix en était augmenté, les agens subalternes de ces nobles voleurs y apportaient les grains mis en réserve, et les vendaient le double de ce qu'ils coûtaient à leurs chefs.


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