Histoire de la déportation à Cayenne ; suivie de tous les prêtres déportés à Cayenne

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— 74 — Ce dur apprentissage d'un régime si austère et si opposé à nos anciennes habitudes nous apprit à connaître la misère et servit à me faire admirer plus que jamais la bonté de Dieu, qui parut veiller d'une manière particulière à ma conservation. Il permit qu'en peu de jours, malgré les fatigues et la mauvaise nourriture, ma santé redevînt aussi florissante que dans les paisibles jours d'une vie plus c o m m o d e . Il n'en fut pas ainsi de tous. Deux d'entre nous n'éprouvaient d'abord qu'une légère indisposition. Mais bientôt ils furent atteints d'une maladie assez aiguë pour éveiller l'attention des chirurgiens du bord. Ces hommes de l'art déclarèrent qu'ils étaient incapables de soutenir les fatigues de la traversée, et qu'ils d e vaient être envoyés à l'île de Rhé, nouveau dépôt de la déportation. Le capitaine, docile à ce jugement, les fait partir sur une barque pour le lieu de leur débarquement. Mais quand ils sont près de terre, le féroce la Terreur,

qui se trouve partout pour

s'opposer au bien, les renvoie soudain. Deux heures après, ils sont revenus au navire, et trois jours n'étaient pas encore écoulés, que l'un d'eux succombant à la violence du mal, fut enseveli dans les flots. L'autre, après avoir lutté, pendant toute la traversée, contre la maladie et la mort, conserva la vie, mais perdit la raison. Ce nouveau trait d'inhumanité du tyran subalterne précéda de quelques jours notre départ de la rade. Après avoir attendu pendant sept jours les vents favorables, la Vaillante,

chargée des

déportés de l'île de Rhé, partit, sans que j'aie rien appris depuis ni de ses aventures, ni de son sort final. Pour nous, que la Bayonnaise

conduisait, après avoir salué de

quelques coups de canons les forts d'alentours, nous partîmes aussi le lendemain, et bientôt voguant sur le vaste Océan, nous perdîmes la terre de vue. A peine le soleil avait-il fait deux fois son tour ordinaire, qu'un cruel surcroît de maux vint s'ajouter à ceux que nous éprouvions déjà. Nous fûmes obligés de payer à la mer le plus onéreux des tributs. J'en sentis plus que personne tout le poids. Pendant plus de


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