Histoire de la déportation à Cayenne ; suivie de tous les prêtres déportés à Cayenne

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— 73 — geur s'étaient partagés avant nous, quelques gourganes souvent pourries ou quelques pois nageants dans l'eau et le sel avec les vers qu'ils avaient nourris, faisaient tous les frais du souper. Tandis que les uns recevaient ainsi dans un baquet et de la main dégoûtante du plus sale des cuisiniers la portion destinée pour sept, quelques autres non sans péril de tomber dix fois, escaladaient le gaillard du devant pour aller à force de courage et de constance prendre la mesure d'eau noire et corrompue strictement nécessaire pour ne pas mourir de soif. D'autres enfin d e s cendant péniblement par une espèce de trappe jusqu'à la cambuse, se présentaient pour avoir une chétive ration d'un vin dur dont l'âcreté s'unissant à la putridité de l'eau, faisaient frémir d'avance quiconque, pressé par la soif, se disposait à le boire. Chacun, après avoir reçu avec ces vivres, les injurieux propos du grossier matelot, retournant à son poste, pour prix de ses sueurs, prenait enfin part à ce repas, qui révolte la nature, et dont la seule nécessité de se défendre contre la faim, pouvait faire supporter l'insupportable assaisonnement. Pour ne pas manquer l'ensemble du tableau, je dois joindre aussi à cette légère esquisse des peines, qui précédaient les repas, quelques traits des contrariétés dont ils étaient accompagnés. Ici, c'était une foule de volailles, qui enfermées dans leurs cages audessus de nos têtes, c o m m e pour se venger de ne pouvoir partager nos festins, les éclaboussaient de leurs aliments, qu'ils avaient souillés de leurs ordures. Là, c'était une troupe do moutons, qui se nourrissant à côté de nous, joignaient au goût détestable de nos mets la fade odeur de leur laine et le néphitisme de leur fumier. Tantôt c'était le vaisseau, qui agité contradictoirement par les flots, nous précipitait par un mouvement imprévu l'un sur l'autre, et lançait sur nous avec les vases la portion que nous avions obtenue avec tant de peines. Tantôt enfin c'était un mousse, qui passant pour pénétrer jusqu'à son maître, malgré ses soins et les nôtres, ne pouvait souvent

éviter de

nous

heurter, et occasionnait toujours à quelque convive la double peine et du coup qu'il avait reçu et de la perte d'un de ses m o r ceaux à l'instant où il le portait à la bouche.


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