— 70 — Mais cette double faculté, qui nous fut interdite au déclin du jour, nous rendit la nuit d'autant plus insupportable, que, pressés côte à côte sur les cailloux raboteux qui nous avaient servi de siége pendant le jour, nous nous trouvâmes privés tout à la fois et des douceurs du sommeil et de la liberté de faire le moindre mouvement sans être exposés
au danger de nous
briser
quelque
membre. Ce prélude de navigation n'annonçait
pas un
voyage
fort
agréable, et était propre à faire reculer le passager le plus déterminé. Mais pour nous, nous n'eûmes d'autre ressource que d'attendre avec résignation le retour du jour. Quand il parut, on mit les voiles au vent et nous aperçûmes au loin le vaisseau qui nous attendait. C'était une corvette, vaisseau à trois mâts, portant trente-deux pièces de canon et cent cinquante hommes d'équipage. On voyait aussi à côté une autre corvette moins forte et destinée c o m m e la première à conduire un nombre de déportés tirés de l'île de Rhé. En peu d'instants, nous fûmes rendus au pied de ces citadelles flottantes et nous approchâmes de celle qui devait nous recevoir dans ses flancs. Il faillit m'arriver un accident irrémédiable. On ne pouvait monter dans cette corvette qu'à l'aide
d'une
échelle de cordes. Mon mal et ma faiblesse ne me permettaient que d'y monter lentement. Le brutal la Terreur,
qui nous avait accompagnés d e -
puis Rochefort jusque là, en voulant brusquer mes pas, faillit me précipiter dans l'onde
amère. Le capitaine lui reproche
son
étourderie. Loin de donner un signe de regret, il lui fait cette sotte réponse : « Eh, que m'importe de précipiter un déporté dans les flots : « N'aurais-je pas rendu de la sorte un service de plus à ma « patrie ? » Un propos de cette espèce ne méritait que le mépris, et il en fut largement payé de tous. Nous sommes enfin réunis sur le vaisseau ; nous sommes restés