Histoire de la déportation à Cayenne ; suivie de tous les prêtres déportés à Cayenne

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— 69 — démarche, je vais me réunir aux autres victimes et au nombre de cent vingt, nous descendons dans la cour. Là une troupe de galériens se chargent de nos malles et les placent au hasard sur les charrettes. Un fort détachement de la garnison formant déjà deux haies, ouvre les rangs où nous entrons sur deux lignes. Bientôt une décharge de mousqueterie signale l'heure de notre départ. La trompette sonne ; la musique joue des fanfares guerrières. Suivis de nos effets, accompagnés du détachement qui s'avance le sabre à la main, nous nous mettons en marche avec cette mâle assurance que donne l'innocence, et nous arrivons au port. Près du rivage, deux chaloupes pontées nous attendaient pour nous recevoir et nous conduire au navire, qui nous est préparé à dix lieues de là dans la rade. Soixante déportés montent sur l'une et soixante sur l'autre ; puis chacun s'approche de l'étroite o u verture de l'écoutille, se laisse glisser à l'aide d'une corde dans un espace obscur, profond, resserré et hérissé de cailloux pointus, qui servent à la fois de leste au vaisseau et de siége à nos membres délicats. Pendant que d'un côté nous étions occupés à nous distribuer avec économie la place que chacun pouvait strictement occuper dans ce local étroit, nous entendions de l'autre au-dessus de nos têtes le bruit des manœuvres par lesquelles les matelots préparaient notre départ. Les vents et la marée sont favorables. On lève l'ancre; les voiles s'enflent et bientôt le port disparaît à nos yeux. Mais au milieu de la route, la marée refusant aux matelots la faveur de ses eaux, détruisit pour nous l'espoir que nous avions conçu d'être rendus le jour même au vaisseau dans la rade. Nous sommes contraints de mouiller au large, et de passer ainsi la nuit qui nous couvre de ses ombres, mais qui nous refuse son repos. Le jour, tout bruyant qu'il était, nous laissait, sous le bon plaisir du capitaine, la liberté de monter alternativement sur le pont, et procurait au moins aux uns l'avantage d'aller respirer l'air et aux autres le plaisir de se trouver moins mal à leur aise.


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