Histoire de la déportation à Cayenne ; suivie de tous les prêtres déportés à Cayenne

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— 44 — décharge de mousqueterie? C'est un

de vos malheureux con-

frères, qui, il y a deux heures, était encore ici, et qui vient d'être fusillé depuis une heure. » Cette femme se met à nous raconter son histoire. Vous verrez là le trait le plus odieux du fanatisme révolutionnaire. L'infortuné était rentré dans sa patrie pendant un instant de tranquillité. Mais forcé d'en sortir dans une nouvelle agitation, il y est resté pour son malheur. Il fut bientôt dénoncé, arrêté, et conduit dans cette maison. On le traduit devant une commission militaire, qui refuse d'entendre ses dires, et de lire un certificat qui atteste l'impossibilité, où l'a mis la maladie, de sortir plus tôt du sol de la France, et le condamne à être fusillé. Sa sentence lui est prononcée. Le confesseur de la foi l'entend lire de sang-froid, s'arme de son crucifix, s'avance avec courage au lieu de son supplice, et là prosterné, il lève les yeux au ciel, pardonne à ses juges, à ses bourreaux, reçoit le coup mortel et tombe renversé. Ce jeune et respectable prêtre est la troisième victime i m m o lée dans cette ville depuis un mois, et il semble que la commission a pris à tâche de marquer chaque décadi par le sang d'une nouvelle victime. Pendant que nous cherchions à sécher les larmes de cette femme sensible, se présentent deux prêtres d'Orléans, qui « ont vécu, « nous disent-ils, deux jours en cette maison, avec le prêtre « malheureux, qui appelé le matin par la commission, les quitte « avec espoir de les revoir, et une heure après, ils entendent « le bruit fatal, qui leur annonce l'instant de son trépas. » Le tableau déchirant d'une scène si tragique nous fit perdre le souvenir des beautés qui nous avaient frappés dans le cours de la journée, et nous ôta toute envie de séjourner plus longtemps dans un lieu, où les traits d'une si cruelle inhumanité semblaient faire renaître de nos jours les temps de barbarie de nos pères, les Gaulois idolâtres. Pour honorer leur dieu féroce, Teutatès, dans les jours de solennité, ils se faisaient un devoir de faire couler sur ses autels le sang de victimes humaines.


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