Histoire de la déportation à Cayenne ; suivie de tous les prêtres déportés à Cayenne

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« de l'assentiment général, ou la preuve du mécontentement « universel ? » Quoi qu'il en soit, nous continuons à pénétrer dans la ville, et partout dans les rues nous ne rencontrons que quelques êtres décharnés, dont la figure est livide et le corps tout courbé ; ils paraissent réduits à la misère, accablés de tous les maux, et tellement débiles qu'ils ne peuvent plus que se hâter lentement pour nous livrer passage. Nous arrivons à l'embranchement de deux rues. Le régiment prend celle qui conduit à la maison commune et nous l'autre, qui mène à la maison d'arrêt. Comme tout est changé.

Cette

maison d'arrêt était le couvent des Cordeliers, dont les religieux furent expulsés au nom des principes nouveaux; et furent forcés comme tant d'autres de restituer à la masse commune ce bien, qu'ils ne tinrent jamais que de la libéralité des particuliers. Tout en entrant, se présentent à nous, en avant, l'église, et plus loin, le cloître. Ils n'attestent l'un et l'autre qu'ils ont existe que par leurs débris. La confusion de leurs décombres donnerait à croire que l'ange exterminateur a présidé à leur destruction. Cependant le corps de la maison n'est point encore tombé ; mais tout annonce que sans de promptes réparations, sa ruine totale ne saurait être que très-prochaine. C'est dans cette nouvelle espèce de maison d'arrêt que nous sommes introduits et remis à la responsabilité du concierge. Cet homme était honnête, et, tout en me voyant, il se rappelle m'avoir connu lorsque j'étais au collège de cette ville. Il nous reçoit avec un air d'affection et d'intérêt. Mais ventre affamé n'a pas d'oreilles. Nous étions à jeun depuis vingt-quatre heures ; la faim et le froid nous torturaient également l'un et l'autre. Le bon geôlier nous admet dans son logis, nous fait un bon feu et nous présente le pain et l'eau d'ordonnance. Pendant que nous rendons par un repas si frugal quelques forces à la nature épuisée, le concierge s'écrie : « Ah ! qu'il s'est passé de choses du moment que vous avez « quitté la ville, et que la ville elle-même est bien changée « depuis quelques années !


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