Histoire de la déportation à Cayenne ; suivie de tous les prêtres déportés à Cayenne

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— 116 — lorsqu'un petit navire, parti de France, entra dans le port de Cayenne. J'en fus instruit. La nécessité donne de l'industrie; je vendis mes hardes; j'écrivis à M. Dupérou, ami de MM. Jeannet et Delair. Je lui exposai que le désir de revoir ma patrie me ferait volontiers passer sur tous les calculs; mais que n'ayant à moi, après la vente de mes hardes, qu'une somme de huit cents francs, j e le priais de voir le capitaine, qui d'abord ne voulait prendre aucun passager. A sa sollicitation, il s'était décidé à me prendre; mais il ne voulut rien diminuer du prix fixé par l'agent Hugues. « Rassurez-vous

cependant,

me

dit M. Dupérou, dans

sa

lettre; jaloux de contribuer au bonheur de votre retour dans le sein de votre famille, j e lèverai tout obstacle en vous avançant de quoi suppléer à ce qui vous manque. Venez donc, le bâtiment se dispose à partir. » La première nouvelle du rappel des déportés avait répandu dans tout mon être un baume salutaire. Mais cette réponse tout obligeante et généreuse qu'elle était, commença à partager mon cœur entre le sentiment de la joie d'abandonner le plus détestable des climats, et le regret de quitter l'estimable M. Belair, le plus sensible des hommes, le plus généreux des amis. Il connaissait ma démarche et mon projet; j e lui fis part de la réponse à ma lettre. Tour à tour il me félicitait et s'affligeait; de mon côté je m'affligeais c o m m e lui, et je me félicitais de mon départ. Le jour en fut fixé pour le lendemain. Il me donne sa pirogue et ses n è g r e s ; il m'accompagne jusqu'à la rivière. Nous avançons ensemble jusqu'à la p i r o g u e ; j e veux lui faire mes adieux, j e l'embrasse, j e le serre dans mes bras; les mots expirent sur mes lèvres, et j e ne puis lui parler. Il est vivement saisi luim ê m e ; nos larmes coulent; il me quitte; j e descends dans la pirogue, et j e pars. Il était quatre heures de l'après-midi; à cinq heures du matin, j'arrivai à Cayenne chez M. Dupérou, qui m'attendait et qui me reçut avec amitié. Je ne connaissais point encore le capitaine, et j'étais curieux de voir le vaisseau qui devait me conduire. Je me transportai


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