Histoire de la déportation à Cayenne ; suivie de tous les prêtres déportés à Cayenne

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— 103 — Conamama était une terre meurtrière qui dévorait et les d e portés et les soldats qui étaient commis à leur garde. Tandis qu'au regret d'avoir

vu périr presque a mes côtés

trois victimes malheureuses, se joignait celui de la mort de cet infortuné, j e reçus d'un de mes amis une lettre dans laquelle il me faisait le détail des ravages que la mort avait déjà faits à Conamama. Des seize premiers déportés de la Vaillante,

il ne

restait que Barbé-Marbois et Lafond-la-Debat. Huit, pour se soustraire aux horreurs d'une mort cruelle, s'étaient évadés, et six, après avoir combattu contre la douleur, avaient succombé à leurs maux et rendu leur poussière à la terre. Des cent quatre-vingttreize qu'avait apportés la Décade, tous avaient payé chèrement le tribut au climat, et cent quatre, incapables de soutenir plus longtemps les tortures inévitables dans cette terre de malédiction, avaient trouvé dans la mort le terme de leurs tourments. Pour les cent vingt conduits par la Bayonnaise,

outre les neuf

qui avaient péris dans la traversée, le premier qui abandonna la goëlette pour mettre pied à terre, fut englouti pour toujours dans la vase au bord de la mer. Un second fut dévoré par les tigres; quarante-huit venaient d'expirer sans secours dans les tourments les plus horribles, sous les yeux de soi-disant infirmiers, qu'on nommerait plus justement des bêtes féroces. Pour seconder leur avide impatience et hâter l'instant de la mort de ces malheureux, ils les abandonnaient sans soins, les laissaient expirer faute de secours. On en a vu tomber pendant la nuit de leurs hamacs sur la terre, et rendre le dernier soupir au matin déjà à moitié rongés des vers. D'autres, dont les hamacs étaient détachés du côté de la tète, furent trouvés ainsi

suspendus,

étouffés et nageant dans leur sang. On fut témoin de spectacles hideux. Ceux qui enterraient les morts, leur cassaient les jambes, leur marchaient sur le ventre pour les faire entrer dans la fosse; leur empressement de courir à la dépouille des expirants ne leur donnait pas le loisir de la creuser ni assez large, ni assez longue, ni assez profonde. Epouvantés de tant de barbarie, ceux qui vivaient encore et


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