Histoire de la déportation à Cayenne ; suivie de tous les prêtres déportés à Cayenne

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— 87 — bitation. Mon estimable hôte avait prévenu M. Jeannet de son départ, et ce protecteur libéral, suivant sans doute l'impulsion de son cœur généreux, m'envoie par un de ses nègres un r o u leau de vingt-cinq louis et de quoi me vêtir d'une manière c o n venable au climat. Je reçus ses dons sans pouvoir lui en faire de vive voix mes remerciements, car dans l'instant même mon hôte se disposait à partir. Je fis mes adieux et mes remerciements à ses enfants ; j e l'accompagnai sur sa pirogue. Celle de son neveu l'attendait aussi dans la rade avec le curé de L'Echelle, et nous partîmes tous à la même heure pour nous rendre à leurs habitations respectives à six lieues de Cayenne. Ce voyage fut pour moi la première occasion qui me confirma dans les idées défavorables que j e m'étais formées de cette terre inhabitable et presque inhabitée. Des rivières nombreuses, larges et profondes, bordent de sombres et épaisses forêts, triste image du silence et des horreurs de la m o r t ; elles sont les chemins les plus ordinaires, et souvent les seuls, pour pénétrer jusqu'au pied des montagnes, au sommet desquelles se trouvent de loin en loin quelques habitations perdues dans l'épaisseur des forêts. L'homme qui se condamne à un si farouche ermitage, ne peut entrer ou sortir qu'à la faveur des marées. Or, ces marées s'avancent deux fois le jour dans des canaux formés par la nature jusqu'au pied des montagnes, et deux fois le jour se retirent du pied des montagnes jusqu'au lit des rivières, qui ne reçoivent régulièrement de la mer ce volume d'eau salée que pour le lui rendre avec la même régularité. Cependant les pirogues, filant avec rapidité sur une de ces grandes rivières à l'aide d'un équipage de huit nègres rameurs vigoureux, nous rendirent promptement aux habitations. La nuit était déjà avancée, déjà elle avait répandu la moitié de ses ombres rafraîchissantes sur la nature, lorsque nous cherchâmes nousmêmes à en goûter les douceurs. Mais à six heures du matin, instant où, dans ces contrées, le soleil chaque jour reparaît sur l'horizon, mon

réveil, quoique complet, me paraissait encore

comme un songe, quand j'aperçus une bande de nègres qu'on


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